Pierre Laurendeau est un compositeur et artiste de musique électronique basé au Québec. Au cours de ses 30 ans de carrière, il a composé pour des émissions de télévision, de radio et même de cirque. En 2017, il sort son premier projet personnel, un EP appelé WEM3 et l'a rapidement suivi avec son deuxième EP intitulé "A Friendly Call from Outer Space".
Je l'ai interviewé sur son parcours musical, son processus créatif et où il trouve l'inspiration.
Karl Magi: Comment avez-vous commencé à vous intéresser à la musique?
Pierre Laurendeau: Quand j'étais enfant, j'étais déjà très sensible à toute la musique que j'entendais. Les premiers chanteurs que j'ai entendus étaient les Beatles de ma mère, les chanteurs français de mon père surtout Charles Trenet et les disques Led Zeppelin de mes sœurs. La stéréophonie de Led Zeppelin II a été une révélation pour moi avec à gauche et à droite à chaque fois. En tant que plus jeune de la famille, je connaissais tous les thèmes des émissions de télévision par cœur. C'est en imitant le piano des chansons de Cat Stevens que j'ai fait mes premiers pas de musicien. J'ai découvert ses chansons en regardant le film Harold et Maude dans les années 70. À ce moment, j'ai vu l'incroyable force qui lie la musique et l'image. Je me souviens de ce moment où Harold fait semblant de couper un faux bras sur le riff de piano de la chanson "I Think I See The Light" de Cat Stevens. C'était tellement frappant pour moi!
A 17 ans, c'est le coup de foudre pour la musique baroque. Johann Sebastian Bach est devenu mon idole. Je me suis lancé tête baissée dans la pratique du clavecin et j'ai obtenu un diplôme en interprétation de l'Université de Montréal, mais l'acquisition de mon premier synthétiseur (un Yamaha DX7) et du programme de composition MIDI appelé Voyetra sur PC est venue détourner mes débuts de claveciniste. Ici, j'écris beaucoup de musique commerciale, d'arrangements de chansons et de musique pour des documentaires. Après toute une carrière musicale, je suis toujours étonné de sa puissance. Je reviens toujours à la musique comme un enfant dans un bac à sable. C'est un plaisir pour moi.
KM: Quels sont les facteurs qui rendent la musique électronique intéressante pour vous?
PL: Les mathématiques de la musique électronique m'intéressent le plus. La beauté d'un rythme parfait dans sa précision m'affecte toujours, ce sont les mathématiques de la musique au sens large que l'on peut jouer à l'infini. Dans la musique électronique, la musique devient une série de zéros et de uns avec l'ajout d'émotion et la multiplication d'images. J'imagine que JS Bach aurait adoré la musique électronique car c'est lui qui aimait tant les mathématiques.
J'aime aussi la découverte de nouvelles textures sonores et de sources d'inspiration toujours renouvelées. La quantité de paysages sonores qui peuvent être créés est infinie. Je pense que c'est peut-être pourquoi la musique électronique s'intègre si bien à l'image. Il y a aussi le fait que la musique électronique ne connaît pas de frontières car elle est le résultat d'une culture mondiale émergente. Vos racines musicales peuvent être le rock, le blues, le jazz, la pop et la musique classique. Vous pouvez même apporter la musique traditionnelle de votre pays d'origine.
En fait, je pense qu'elle suit la même évolution que la musique symphonique du XXe siècle avec les nouvelles façons d'aborder la composition orchestrale de Stravinsky et Bartók. La musique électronique ne nie pas le passé, elle sort du passé.
KM: Comment abordez-vous le processus de composition?
PL: J'aborde la composition de manière largement intuitive au début. Lorsque nous connaissons bien les règles de la musique, il devient intéressant de les transgresser sciemment. En fait, je recherche un rythme de plus en plus parfait. Je veux que ma musique vive autant dans le corps que dans la tête, c'est pourquoi j'abandonne le mouvement harmonique en ce moment. Ils imposent leur propre structure et je cherche autre chose maintenant. J'aime le côté tribal des percussions maintenant parce que c'est quelque chose de plus proche de votre corps.
Pour moi, c'est toujours le geste créatif. Comme le dit le proverbe, "Peu importe comment vous commencez, faites-le!" Vous devez travailler lorsque ces idées viennent. J'ai mon esprit critique au repos à chaque instant du processus de composition. Je reporte la décision de garder ou de ne pas garder quelque chose jusqu'à ce que j'enregistre maintenant.
Enfin j'essaye aussi de me limiter à un certain nombre de couleurs dans chaque projet. Si vous mélangez trop de couleurs, vous finissez parfois par brunir.
KM: Quels sont les artistes musicaux qui vous ont inspiré et pourquoi?
PL: J'ai été inspiré dans mon adolescence lorsque j'ai découvert la musique de Vangelis, Jean-Michel Jarre et du compositeur français Pierre Henry. J'ai également été inspirée par la performance de Wendy Carlos de la musique de Beethoven pour A Clockwork Orange. Cela a eu un grand impact sur moi. Je me souviens aussi d'un film d'animation produit par l'Office national du film du Canada dans les années 60 où la musique était gravée directement sur le film créant la musique électronique la plus surprenante.
J'aime aussi beaucoup la musique de Carl Craig. Je trouve cela extrêmement habile. J'adore Moby pour la qualité de son inspiration. En fait, j'écoute vraiment tout. La musique électronique prend toutes sortes de directions qui me fascinent. J'essaie d'identifier les tendances pour trouver de nouvelles idées pour ma recherche personnelle.
KM: Quelle est la relation entre la musique électronique et le monde plus large de la musique contemporaine?
PL: La musique électronique est désormais partout. Étant donné que nos smartphones et nos ordinateurs font partie de tous les domaines de nos activités, il est naturel que la musique d'aujourd'hui soit de plus en plus produite électroniquement. C'est simplement un reflet de la société dans laquelle nous vivons. Ses paysages sonores sont infinis, il est donc de plus en plus utilisé pour soutenir l'image et l'image deviendra probablement le cheval de Troie de la musique électronique qui se faufile à nos oreilles. Il permet également à l'auditeur d'entrer en contact avec de nouvelles émotions.
Je pense, par exemple, à l'instrument qui s'appelle Ondes Martenot ou les ondes Martenot. C'est l'un des ancêtres des instruments électroniques comme le Theremin. Ces instruments ont été inventés il y a près de 100 ans. La première fois que j'ai entendu ce son mystérieux sortir des Ondes Martenot, je me souviens que l'émotion que je ressentais était si différente de tout ce que j'avais jamais connu auparavant. Les nouveaux sons font partie d'une inexorable marche en avant dans l'histoire de la musique et j'aimerais en faire partie.
C'est le son de notre bagage culturel qui nous rend uniques. Je veux entendre la musique qui exprime ce que je ressens et comment je vis en 2018.
KM: Parlez-moi de votre EP intitulé "A Friendly Call From Outer Space".
PL: Contrairement à mon premier EP appelé WEM3 que j'avais conçu moi-même, cette fois j'ai eu «un peu d'aide de mes amis». Mon bon ami et auteur Normand Bergeron me propose parfois des titres pour mes compositions, alors je lui ai envoyé le premier brouillon du premier morceau de l'EP et il a suggéré le titre, «En attendant un appel amical depuis l'espace». J'ai tout de suite adoré le concept, mais je l'ai quand même trouvé un peu long pour un titre. Nous avons supprimé «en attente» et cela a changé le sens, de sorte que c'est ma musique qui est devenue l'appel amical. C'est aussi Normand qui m'a proposé le titre, «Silence Within Turbulence» pour l'une des pièces de l'EP. Il me semble que ce titre nous offre, en fait, un scénario complet. Quelle est cette turbulence? Pourquoi ce silence? Chacune de ces questions a une réponse différente pour différentes personnes.
J'ai également eu la collaboration du compositeur et facteur de clavecin Yves Beaupré. J'ai travaillé avec lui il y a longtemps. Il m'a prêté, pour la période d'enregistrement, son synthé analogique Fender / Rhodes Chroma Polaris de 1983. C'est une rareté et j'en ai fait grand usage pour cet EP. C'est également Yves qui a créé la pochette du PE avec ses oeuvres photographiques. Il m'a également donné de bons conseils et des commentaires constructifs tout au long du processus de composition.
Enfin l'ingénieur du son Stéphane Grimm qui m'a aidé dans le mixage final. Stéphane et moi partageons un studio depuis plus de 10 ans maintenant. Tout est un peu plus clair après son passage dans ma musique, donc il m'a beaucoup aidé.
KM: Quels sont certains de vos objectifs en tant que compositeur / créateur de musique?
PL: J'ai l'impression d'avoir enfin atteint une grande liberté dans mes compositions. Pour y arriver, j'ai dû apprendre à jouer du piano et du clavecin, j'ai dû étudier l'histoire de la musique de la Renaissance jusqu'à aujourd'hui et les ordinateurs et les différentes techniques d'enregistrement, j'ai dû apprendre à mixer et programmer des synthétiseurs. Après des dizaines de milliers d'heures en studio, la musique excite toujours mes neurones et me chatouille les oreilles. Composer pour moi reste le plus beau des métiers, mais au-delà de la musique pure, le monde de la composition à l'image est pour moi le Saint Graal. Émissions de télévision, documentaires ou événements de cirque sont tous mes prétextes pour suivre l'action.
Récemment, j'ai composé la musique de plus de 70 épisodes de la série Subito Texto ici au Québec produite par Zone 3. C'était juste un pur plaisir pendant trois ans. La possibilité pour les artistes indépendants d'avoir accès aux mêmes canaux de distribution que les plus grands artistes m'inspire au plus haut point. J'ai déjà deux EP disponibles sur le Web et j'en prépare un troisième pour la fin de l'année qui s'appellera Brainstorm. J'aime déjà ce format EP pour quatre à six chansons car il est plus léger à concevoir qu'un album complet.
KM: Comment rechargez-vous vos batteries créatives?
PL: Comme un enfant, un nouveau jouet musical peut toujours me lancer dans de nouvelles aventures. Je vis à la campagne depuis plus de 20 ans et la proximité avec la nature me convient parfaitement. Pour mieux entendre ma musique intérieure, j'ai besoin de ma dose de silence. C'est une période d'incubation nécessaire pour les travaux futurs. Le cerveau a besoin de se détendre pour faire un "Eureka!" moment où je me lève et grâce à Internet, je peux vivre dans mon monastère et rester en contact avec toute l'humanité. Je peux désormais accéder à des sources infinies de nouvelles créations tous les jours. Toute cette humanité en pleine ébullition créative me pousse à créer et à jeter mon humble grain de sel dans cet océan de musiques nouvelles.